Apollo Noir, musique mi-douce et mi-abrupte

Signé sur le label Tigersushi, Apollo Noir produit une musique électronique tant coupée au hachoir que montée sur le fil du rasoir. D’abord batteur influencé par un rock oscillant entre punk et hard-core, Apollo Noir se met à collectionner synthétiseurs et autres boîtes à rythme, lorsqu’il aménage à Paris. Plus qu’un simple maniaque empileur d’objets musicaux, il pousse les machines dans leurs retranchements afin d’en puiser des sons radicaux qui reflètent la créativité de l’artiste.

Peux-tu nous parler de l’énergie mise dans ton album A/N, qui est le fruit de tristes circonstances ?

Depuis une dizaine d’années, je produisais de la musique pour d’autres, et depuis autant de temps, je désirais réaliser quelque chose pour moi. Je cherchais, j’allais vers différentes pistes, j’explorais sans me contenir. Puis, le 13 novembre 2015, les attaques terroristes, que l’on résume souvent par attaques du Bataclan, ont eu lieu. J’étais seul chez moi, alors que ma femme était elle dehors, juste à côté de la salle. Je me souviendrai toute ma vie de cette nuit. Je regardais Alien pour la première fois et mon téléphone s’est mis à vibrer sans arrêter, messages, notifications Facebook, etc. J’étais donc seul chez moi, alors que ma femme était elle dehors, juste à côté de la salle, et qu’il m’était impossible d’avoir des nouvelles dans la panique générale. J’étais dans une situation intense inédite. Heureusement, elle a fini par rentrer, et m’a retrouvé peut-être plus apeuré et choqué qu’elle. À ce moment là, j’étais jeune papa depuis six mois, mes sentiments se mélangeaient tous, j’étais pommé, j’exprimais de la haine pure et dure mais aussi des sauts d’amour. Le lendemain matin, je tournais en rond chez moi, je ne savais pas quoi faire, personne ne le savait d’ailleurs, les médias étaient dépassés, les parisiens ignoraient s’ils pouvaient sortir ou non. Le chaos. À force de cent pas, je me suis mis à faire de la musique et ai créé le titre P.4.R.1.5, en trois heures. Puis le jour suivant j’ai continué, continué avec cette énergie.

Haine et amour, dernier sentiment que l’on retrouve dans le titre I love real mountains qui donne à entendre un poème que ta femme t’avait offert.

Je ne voulais pas que A/N soit uniquement le fruit abrupt d’un après attentat, car la vie continue toujours. Il me fallait autre chose, je devais exprimer mes autres sentiments pour être honnête avec mon public et moi-même. J’ai donc repris un poème de ma femme, vieux de dix ans, et j’ai donné ces vers à lire à un ordinateur. Contrastant le côté fleur bleue romantique avec la deshumanisation robotique, devenant ici sincère. Ce genre de morceau apporte à mon album une dimension plus ambiante, plus expérimentale, qui m’est chère.

La couverture de A/N, avec ton visage froissé, m’a évoqué une vieille couverture de Trax Magazine. Dans ce numéro de novembre 2008, on découvrait une photo chiffonnée de la tête de Quentin Dupieux avec en titre « Qui est cet Oizo ? » et plusieurs réponses au choix dont « terroriste ». Ironie vis-à-vis de la genèse de ton projet. Ta couverture d’album, brute, presque violente, tranche avec ta trilogie de clips, assez pop. Comment as-tu pensé ton imagerie ?

Cela s’est fait en plusieurs étapes. J’adore le cinéma, l’art, le graphisme, j’ai besoin que les œuvres me parlent. Par défaut, à force de regarder celles des autres, j’ai donc eu facilement une idée assez précise de ce que je voulais présenter de moi. Pour la pochette de A/N, il faut savoir qu’elle devait initialement être différente. Le concept restait le même, avec des pliages, mais j’avais perdu le format original ainsi que le scan HD, donc la qualité était très moyenne. Du coup, je me suis dit que si je devais changer de visuel, j’allais mettre ma tête sur l’album. Pas dans un élan mégalo, mais simplement car A/N c’est moi. Le côté papier froissé m’a paru évident, je n’ai pas de raison à donner, je sais juste que j’ai trouvé l’idée pertinente.

Pour les clips, tout s’est révélé après ma rencontre avec Serguei Spoutnik, le réalisateur de la trilogie. Je dirais même qu’avec ma femme, ils sont les deux personnes grâce auxquelles j’ai fait ce disque. Car après mon élan initial, pour exprimer mes sentiments, je me suis retrouvé avec des titres sans trop savoir ce que j’allais en faire. Je les ai fait écouter à Serguei qui m’a motivé à les présenter à des labels. Avec Serguei, nous échangions déjà beaucoup sur l’art, on s’envoyait des musiques, des clips, des films… Puis un jour, j’ai découvert un clip en 3D que je lui ai envoyé en lui demandant s’il pourrait réaliser quelque chose dans la même veine. Il travaillait sur des images en 2D, pas sur le 3D, mais le déclic fut suffisant pour le motiver. Motivation qui le poussa à faire trois clip, avec une quasi carte blanche. Quasi, car nous échangeons tellement que j’ai du l’influencer sur quelques points, mais je suis si fan de ce qu’il fait que tout m’irait. Maintenant, je suis impatient de continuer de bosser avec lui.

Quelles sont tes influences musicales ?

Les premiers noms qui me viennent sont Jean-Michel Jarre et Pink Floyd car mes parents écoutaient cela tout le temps, et du coup pour moi c’était logique de faire de même. Puis, Fugazi m’a littéralement renversé lorsque j’étais adolescent. Avec ce groupe je suis tombé dans la musique alternative, hors radar. Surtout que Fugazi, quand tu aimes, c’est plus que de la musique « non évidente », il y a tout un discours très profond qui accompagne le mouvement. Sinon, il y a aussi la musique de Blade Runner faite par Vangelis.

Et tes influences culturelles pour A/N ?

Elles sont assez denses comme l’album reflète ma vie et mes sentiments à un moment précis. Le cinéma de David Lynch est un véritable moteur, tous ses films me parlent, j’adore ses univers, sa patte. Aussi, on retrouve un voyage à New York qui m’a beaucoup inspiré en 2007, j’avais vingt ans et je découvrais tout un nouveau monde culturel, avec des musiques que nous n’avions pas encore en France. Je dormais dans une sorte de squat d’artistes dans le Queens, c’était follement encourageant. Sinon, la culture DIY est également très importante dans mon processus de création.

Tu disais ne pas vouloir arrêter de travailler avec Serguei Spoutnik. Alors où en es-tu ? Nouveau clip ? Nouvel album pour Apollo Noir ?

Mon deuxième album est terminé, mais pour des histoires de planning avec mon label, il ne va pas sortir maintenant. Mais, un EP sur le thème de noël, XMAS666 sort en décembre 2017, accompagné par un nouveau clip de Serguei.

Pour mon prochain album, je vais évidemment collaborer avec Serguei Spoutnik, mais également avec une autre artiste, Céleste Joly. Elle fait du dessin noir et blanc au crayon et ses œuvres sont magnifiques. Confronter le crayon épuré de Céleste au travail de Serguei va être très riche en créations.

Aussi, avec Tigersushi nous avons édité un magnifique projet, Musique ambiante française Vol. 1. Dans cette compilation on retrouve naturellement Joakim, le boss de Tigersushi, GLASS, Etienne Jaumet, Mondkopf, Romain Turzi, le duo franco-québécois Essaie Pas. Mais aussi d’autres artistes totalement hors radar comme Nightbirds, un gars de quarante-cinq ans, en marcel et cheveux sous gomina, qui collectionne des synthé depuis vingt-cinq ans. C’était très chouette de le découvrir. Ah, et moi aussi je suis dans la compile (rires).

Récemment tu étais programmé au festival Maintenant, à Rennes, un festival de musiques électroniques et d’arts numériques. Un peu avant, tu étais programmé au festival Scopitone, à Nantes, un festival de musiques électroniques et d’arts numériques… Quel est ton lien avec ce domaine artistique ?

Alors ma participation à ce genre de festival n’est pas nécessairement intentionnelle, mais j’adore ce type de manifestations pluri-artistiques. En plus, et ce n’est pas pour faire de la lèche, mais Maintenant comme Scopitone sont deux festivals passionnés et passionnants, tant pour le public que pour les artistes. Il faut savoir que j’ai signé avec Kongfuzi, un tourneur assez spécialisé dans les musiques lourdes qui s’ouvre aux scènes électroniques. Je pense qu’ils ont totalement cerné mon public et le genre de scènes sur lesquelles je dois me produire.