Nos Amours, danse et processus créatif

Rencontre avec la chorégraphe Julie Nioche et le danseur Miguel Garcia Llorens qui reviennent ensemble sur leurs parcours et le processus de création de la pièce Nos Amours. Plus qu’une simple danseuse et chorégraphe Julie Nioche battit des univers, des cosmogonies à elle. Dans la pièce Nos Amours, elle met en mouvement tous les amours d’une vie, gracieusement et graphiquement, c’est envoûtant. 

Avant votre rencontre en 2015, vous avez chacun de votre côté des parcours distincts et proches à la fois, pouvez-vous nous en parler ?

Julie Nioche : Je suis danseuse diplômée du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris depuis 1995, donc je danse depuis plus de vingt ans comme professionnelle. En parallèle de ma carrière de danseuse et de chorégraphe j’ai entamé des études en ostéopathie et psychologie pour continuer à apprendre « comment le corps fonctionne » et « quels sont les rapports entre les émotions et le corps ». Je voulais vraiment comprendre les liens entre le psychisme et le corps. Ce corps qui est l’outil de travail d’une danseuse. Malheureusement par manque de temps, je ne pouvais pas cumuler ma carrière avec mes études. J’ai donc arrêté la psychologie pour poursuivre l’ostéopathie, une spécialité qui me permettait d’être beaucoup plus dans le travail manuel. L’ostéopathie à pour but de remettre en mouvement des endroits du corps en restriction. C’est très proche de la danse, on cherche toujours à mettre en mouvement.

Miguel Garcia Llorens : Je suis né au Pérou et y ai passé une très grande partie de ma vie. À Lima, j’étais inscrit dans une école française et j’ai commencé à faire du théâtre là-bas. Ensuite, j’ai commencé une licence d’Arts de la Scène, ça mêlait l’étude du théâtre théorique, un peu pratique et la communication. En même temps que mes études j’ai fait du sport de haut niveau, j’étais membre de l’équipe nationale de Volley-ball jusqu’à mes vingt ans. Quand j’ai arrêté, je cherchais toujours le mouvement, je voulais bouger, je me suis intéressé au cirque et me suis lancé. À l’époque j’avais quand même essayé la danse par quelques cours, mais les mouvements du cirque m’attiraient plus. Alors je me suis inscrit dans une école de cirque, toujours en poursuivant mes études. Puis, au fil des rencontres dans cette école, j’ai eu l’occasion de venir en France pour suivre les cours de l’École nationale des arts du cirque de Rosny-sous-Bois. Après, je suis allé à Angers, au Centre national de danse contemporaine sous la direction de Emmanuelle Huynh. En parallèle, j’ai continué mes études en danse à Paris, pour avoir une licence car j’avais arrêté au Pérou. J’ai ensuite dansé pour plusieurs chorégraphes, tout en me formant à côté aux techniques de soins manuels et aux pratiques somatiques. J’ai rencontré Julie en 2015, et depuis… Voilà.

On retrouve bien dans vos parcours des cheminements presque parents, vos approches du mouvement, théoriques comme physiques, sont assez communes. Votre rencontre parait évidente.

Julie Nioche : Oui, nous nous sommes choisis grâce à nos intérêts très grands pour les pratiques somatiques. Pour Nos Amours je voulais réaliser un duo avec un homme, je devais donc trouver une personne intéressée et impliquée dans cette approche somatique. Je ne cherchais pas un investissement physique seul, je désirais plus. Avec le parcours de Miguel, j’étais certaine de l’investissement physique et théorique. Le montage du spectacle nécessitait un amour pour les pratiques somatiques, car les mouvements allaient prendre forme de ces dernières. Et, plus loin encore, il fallait que le danseur soit prêt à passer par ce processus qui peut devenir une sorte de voyage intérieur. Sans aller jusqu’à la thérapie, mais quand même, il fallait avoir le courage de se livrer, de prendre le risque d’exprimer un sentiment profond dans une danse.

Nos amours © Adrien Selbert
Nos amours © Adrien Selbert
Pour le processus de création vous avez réalisé plusieurs séances somatiques, avec plusieurs spécialités différentes, l’ostéopathie, l’acupuncture, l’hypnose, la méthode Alexander, et d’autres encore. Vous interprétiez les mouvements après, pouvez-vous nous en dire plus ?

Julie Nioche : Pour pouvoir faire ce projet de création artistique autour de l’amour, il ne fallait surtout pas que l’on tombe dans la thérapie de groupe. Même si nous parlions de nous, de nos passés, il fallait dépasser nos histoires personnelles. Nous avons fait la même chose avec les pratiques somatiques, cette chose intime devait être un passage du processus de création. Ensuite, les différentes spécialités se sont dégagées, avant tout lors de rencontres avec des praticiennes. Des praticiennes prêtes à déplacer, à détourner, leurs pratiques thérapeutiques ou d’éducation par le mouvement dans un champ d’application artistique totalement différent de leur quotidien.
Miguel Garcia Llorens : On recevait une pratique somatique et on faisait ensuite une retranscription de cette expérience en mouvement, en dansant seul, face à Julie et à la praticienne. On devait intégrer tout ce qu’on avait vécu lors de la pratique et le ressortir par le mouvement.

Le spectacle s’appelle Nos Amours, il traite donc d’amour… Lors de la création vous choisissiez pour chaque pratique somatique des amours différents. Vos vies et vos amours sont forcément multiples, inégaux, originaux, comme pour vos interprétations des pratiques somatiques. Comment harmoniser le final ?

Julie Nioche : La pièce n’est pas forcément harmonieuse. C’était un pari, une prise de risque lors de la création. J’ai donc pris les Variations Goldberg de Bach par Glenn Gould comme base, car ce sont trente variations sur un même thème, comme nous et nos trente variations de l’amour. Nous rendons ensuite hommage à telle variation de Goldberg avec telle variation d’amour, de manière successive. Nous avons travaillé avec chaque praticienne trois types d’amours différents, qui se suivent jusqu’à en obtenir trente, ils forment alors les Variations Goldberg, et ils forment la pièce Nos Amours.
Miguel Garcia Llorens : On ne voulait pas forcement harmoniser mais que le public comprenne les mouvements, les intentions, les émotions que nous représentons. Nous n’avons pas inventé de nouveaux gestes pour cela, tout doit passer dans la cohérence.
Julie Nioche : Nous sommes seulement des humains, tous limités dans les mouvements. Nous évoluons dans trois dimensions sans pouvoir voler, sans pouvoir changer de couleur, et n’avons que deux jambes, deux bras et une tête. C’est triste, mais nous sommes conscients des contraintes de nos corps et la notion de nouveau mouvement passe par le cheminement de la pièce, par le processus de création et par les différentes strates du mouvement.

Glenn Gould
Glenn Gould
En parlant de strates, Nos Amours en montre d’autres que celles des mouvements dansés. Les Variations Goldberg, mais aussi la scénographie, les dessins sont importants dans la pièce.

Julie Nioche : Pour le moment nous avons beaucoup parlé de notre approche à nous, de danseurs, une approche de l’émergence du mouvement, mais une pièce c’est l’association d’un ensemble et Nos Amours comprend bien d’autres strates. Je trouve important de parler de cette notion de strates, car un geste avec l’intention qu’il porte change complètement. J’espère vraiment que cela arrivera jusqu’au public, que le spectateur comprendra par la musique, la mise en scène et les mouvements les différentes strates de la pièce. Et si le spectateur peut être tenté de faire le même processus pour retrouver ses propres traces d’amours ça serait génial.
Miguel Garcia Llorens : C’est comme une réactualisation de nos histoires passées, une redécouverte de soi.
Julie Nioche : Mais ce n’est pas hommage au passé, ni à notre mémoire, il s’agit de son interprétation avec les personnes que nous sommes devenues aujourd’hui. À chaque fois qu’on danse pour la pièce, on réactualise du passé. Pour les Variations Goldberg c’est la même chose, nous les réinterprétons grâce à une chorale virtuelle sans les donner à entendre directement.

Peut-on parler un peu de cette réinterprétation des Variations Goldberg ?

Julie Nioche : Cette chorale virtuelle est le fruit du travail d’Alexandre Meyer, musicien avec lequel je collabore depuis plus de dix ans. Nous partageons ensemble une sorte de sensibilité inexplicable mais qui fonctionne. Sa composition pour la pièce porte une notion de communauté. Il y a plus de trente personnes qui chantent, elles ne sont pas sur scène, d’où la chorale virtuelle. Ce procédé nous extirpe encore un peu plus du côté centré autour de Julie et Miguel, grâce à toutes ces voix, tous ces participants, nos corps deviennent alors de simples surfaces d’expression. On peut même dire que ça nous protège un peu, ce n’est jamais simple d’évoquer l’amour, surtout quand on est une femme, nous sommes vite catégorisées. Les liens entre nous et les variations apportent une autre dimension, une profondeur subtile, ils montrent les différents amours sans les exposer violement. Les trente Variations Goldberg de Alexandre Meyer mettent aussi en évidence qu’une histoire d’amour ne vit pas qu’un seul amour, dans chaque histoire il existe plusieurs types d’amours.

Julie Nioche © V. Arbelet
Julie Nioche © V. Arbelet
Les représentations de vos histoires d’amours sont-elles chronologiques sur scène ?

Julie Nioche : Non, nous avons travaillé exclusivement certains types d’amours avec telle ou telle pratique somatique. J’avais mis en place, au début du processus, un protocole où je demandais à chaque personne d’écrire trente types d’amours différents, mais tous ne l’on pas fait, ce qui n’est pas grave car les protocoles sont faits pour être brisés. Nous avons donc pris pour base un type d’amour particulier pour chaque séance avec une spécialité somatique précise. La praticienne voyait comment interpréter le type d’amour donné par une pratique particulière.

Le spectacle comprend aussi un anneau lumineux, dans quel but ?

Julie Nioche : Je voulais qu’un anneau lumineux soit la source de lumière de l’ensemble de la pièce et qui nous cadre, comme un sol et un ciel. Cette scénographie est manipulée par Lisa Miramond qui est danseuse également. Lisa est présente sur scène, c’est très important car elle donne un contrepoids, une mise en relief du simple duo. Grâce à elle l’espace se transforme, il danse même.

Pouvons-nous aussi parler de l’aspect graphique ? Car Nos Amours use aussi du dessin sur vos corps pour véhiculer un message.

Julie Nioche : On cherchait quelque chose de proche du corps, et avons naturellement pensé au tatouage. Les dessins sont ceux de Laurent Cèbe, j’aime beaucoup son coté brut. Au début j’avais pensé aux ramures des arbres qui rappelle le système sanguin, mais sur scène ça ne se voyait pas.
Le tatouage est très souvent une manière de laisser des traces d’amours sur la peau. Aussi, nos tatouages son éphémère, c’est du maquillage apposé sur nos corps, ils sont donc en mouvement, ils s’estompent, se mélangent, coulent, s’effacent. Comme de véritables traces d’amours qui avec le temps changent, celles qu’on peut adorer partent avec le temps. Nos tatouages éphémères sont comme les amours, nous ne décidons pas du mouvement et du sens que ça prend.

Nos amours © Adrien Selbert
Nos amours © Adrien Selbert
TOURNÉE

17 au 19 novembre 2016 – Grand Logis, Bruz – Festival Mettre en Scène du TNB (CREATION)
26 janvier 2017 – Le Vivat – Festival Vivat la Danse ! – Armentières
2 mars 2017 – Le Grand R, La Roche-sur-Yon
24 mars 2017 – Le Théâtre d’Arles
12 mai 2017 – TPE de Bezons
juin 2017 – June Events – Ateliers de Paris
saison 2017/18 – Festival d’Automne à Paris – Centre Pompidou / Les Quinconces, L’espal – Le Mans

Site de l’A.I.M.E, la compagnie de la chorégraphe Julie Nioche

Alexandre Fisselier